Les Oubliettes (Jean-François Alfred BAYARD - Michel MASSON)

Sous-titre : le retour de Pontoise

Pochade du XIIIe siècle en deux actes mêlés de couplets.

Représentée pour la première fois, à Paris, sur le Théâtre du Vaudeville, le 6 mars 1830.

 

Personnages

 

LE SIR DE BRULARD, seigneur de Pontoise

AMBROISE, son précepteur

OLIVIER, un de ses pages

RAYMONT, maçon

BLANCHE DE CRESSY, pupille du sir de Brulard

YOLANDE, sa gouvernante

UN ÉCUYER

HOMMES D’ARMES

VARLETS

PAGES

VASSAUX

 

La scène se passe au premier acte dans le château du sir de Brulard. Au 2e acte dans le château de Cressy.

 

 

ACTE I

 

Le Théâtre représente un intérieur gothique. À gauche une table chargée d’outres et de coupes. À droite l’appartement de Blanche. Dans le fond grande porte donnant sous le vestibule du château.

 

 

Scène première

 

RAYMONT, seul

 

Au lever du rideau une trappe, qui doit se trouver vers le milieu du théâtre, est soulevée ; Raymont passe la tête au-dessus du trou.

Personne, je n’entends rien... ma foi, tant pis, je me risque.

Se frottant les yeux.

Eh bien ! qu’est-ce qui me passe devant les yeux ? je suis tout ébloui ; au fait, ce n’est pas étonnant ; depuis un mois, l’obscurité, c’est mon élément... il ne m’est permis de voir le jour que la nuit. Mais courage, ma besogne avance... et je me remettrai bientôt à voir clair en plein midi... Chut, j’entends marcher... Non... Si fait... Ah ! si c’était la dame Yolande ! On approche... Eh ! vite...

Il baisse la trappe.

 

 

Scène II

 

OLIVIER, puis RAYMONT

 

OLIVIER, accourant.

Oh ! cette fois-ci, je ne me suis pas trompé, le plancher a tremblé, et je saurai...

S’arrêtant.

Ah ! mon dieu ! rien ; si c’était par magie... Bah ! le diable est bien malin, mais mon bon ange l’est plus que lui.

Frappant du pied.

Holà ! hé ! qui que vous soyez, répondez, ou j’enfonce avec ma dague.

Frappant plus fort.

Je vous ai vu, ouvrez. Voulez-vous que je donne l’alerte dans le château ?

RAYMONT, levant la trappe.

Chut, taisez-vous.

OLIVIER.

De par Notre-Dame, je ne me trompe pas, c’est Raymont !

RAYMONT.

C’est le page Olivier !

Il veut baisser la trappe.

OLIVIER, le retenant.

Non pas, non pas ; hors du trou, manant. Eh ! que diable fais-tu là ?

RAYMONT.

Grâce ! grâce ! si vous ne gardez pas mon secret, je suis perdu.

OLIVIER.

Mais pour le garder, il faut le connaître.

RAYMONT.

Impossible.

OLIVIER.

Alors, je dirai que tu habites le château en secret ; que tu travailles sous terre, comme le diable ; enfin je dirai tout, même ce que je ne sais pas, et si cela peut te faire pendre...

RAYMONT.

Miséricorde ! y pensez-vous ? Moi, votre ancien compagnon de maraude, au prieuré de Saint-Denis, quand vous demeuriez chez votre oncle le chanoine, dont mon père était jardinier ?

OLIVIER.

Raison de plus pour que tu me dises ton secret.

Air de l’Ours et le Pacha.

J’ai bonne mémoire !... Souvent,
Quoique noble, j’étais ton frère ;
Nous volions les fruits du couvent,
Au bon vin nous faisions la guerre.
En te voyant, je me suis rappelé
Nos jeux innocents de l’enfance...
Ah ! lorsqu’ensemble on a volé,
On se doit de la confiance.
(Bis ensemble.)

Pour moi, tu vois... Depuis que mon oncle est mort d’une indigestion, je suis entré au service du sir de Brulard, seigneur de Pontoise, et autres lieux.

RAYMONT.

Oui, le gentilhomme le plus puissant, le plus brutal et le plus laid. Dieu ! l’est-il, laid !

OLIVIER.

Mais toi, que fais-tu ici ? voyons, parle, et ne crains rien. Mon seigneur et maître n’est pas au château ; comme il s’est levé de bonne humeur, il s’amuse en ce moment à regarder sa meute et ses chevaux, qui ravagent le champ d’un voisin ; ainsi, tu as le temps de me dire par quel hasard...

RAYMONT.

L’hasard n’y est pour rien ; voilà ce que c’est... Vous savez que je suis le neveu de mon oncle Bonaventure, le maçon ; quand je dis son neveu, c’est-à-dire son élève, et je lui fais honneur, je m’en vante ! il n’y a pas de Saint Denis à Pontoise, un maçon qui puisse m’en remontrer... Mon père, qui avait de l’ambition, voulait faire de moi le jardinier de l’abbaye ; mais le beau plaisir de vivre entre quatre murailles, avec des choux, des navets, des carottes, et quelques sournois qui vous font enrager... Au lieu qu’un maçon, ça vit avec tout le monde ; ça travaille, ça boit le petit coup, ça ne va pas à la corvée ; heureusement, ça n’en est pas plus libre ... moi, par exemple, depuis deux mois...

OLIVIER.

Comment cela ?

RAYMONT.

Eh ben oui ! voilà toute la manigance. Il y a deux mois, le sir de Brulard me fait l’honneur de m’enlever ; bien, il en a le droit ; je suis son serf, son vilain, tout ce que vous voudrez. Il me renferme dans son château, pour mettre mon talent à l’épreuve ; très bien, il est toujours dans son droit, mais il m’est défendu de voir personne, de parler à personne, sous peine de la corde, et, en ce moment, il me semble que je sens le nœud coulant.

OLIVIER.

Mais enfin quel est cet ouvrage ?

RAYMONT.

Ce sont les oubliettes de son château qu’il me fait réparer. Comme c’est travaillé !... Il n’y a pas de suzerain parmi les vassaux de notre bon roi Louis IX, qui puisse se vanter d’avoir des oubliettes aussi bien maçonnées ; et dire qu’il faut que je me taise, si je ne veux pas être... C’est dur, quand on a de l’amour-propre !... mais c’est égal, je vis là-dedans, et je me contente de ma satisfaction intérieure.

OLIVIER.

Mais ces oubliettes, à quel propos les réparer ?

RAYMONT.

Qui sait ? Il a peut-être, auprès de sa pupille, quelque rival dont il voudrait se défaire.

OLIVIER, tremblant.

Ô Ciel !

RAYMONT.

Il en a toujours le droit... Mais qu’avez-vous donc, beau page ?

OLIVIER.

Ah ! mon pauvre Raymont... C’est que ce rival... Je n’ai pas une goutte de sang dans mes veines.

RAYMONT.

Est-ce que ce serait ?...

OLIVIER, lui mettant la main sur la bouche.

Chut ! malheureux, tais-toi.

RAYMONT.

Bonté divine ! la noble damoiselle Blanche de Cressy, la pupille, et, dit-on, la future du sir de Brulard.

OLIVIER.

Sa future ! jamais ; je mourrai plutôt.

RAYMONT.

Ça pourrait bien vous arriver ; vous ferez l’étrenne de mes oubliettes.

OLIVIER.

Ah ! pourquoi dis-tu cela ? pour m’effrayer encore. Si tu savais, quand je vois le sir de Brulard, je sens un tremblement... J’ai toujours envie de me sauver.

RAYMONT.

Ah ! vous êtes brave... comme moi. Décidément, vous êtes donc amoureux ?

OLIVIER.

Comme un fou !

RAYMONT.

Moi, c’est ordinairement comme une... aussi, quand ça me tient, je ne ris plus, je ne dors plus, je ne mange... si fait, je mange toujours, et beaucoup même, mais ça m’étouffe.

OLIVIER.

Et dire que je ne puis pas lui faire savoir quel nouveau danger... Ah ! Raymont, mon cher Raymont, tu sais écrire ?

RAYMONT.

Non, je n’ai jamais pu... mais je sais lire... Dam’ ! il l’a bien fallu... nos satanés maîtres m’ont donné tant de taloches sur toutes les faces. Aussi, grâce à mes dispositions naturelles, en moins de dix ans, j’ai su épeler couramment. Mais vous, je m’en souviens, vous y avez mis de l’obstination, et vous avez bien fait ! Un gentilhomme ça doit faire sa croix.

OLIVIER.

Mais Blanche, comment lui apprendre ?...

RAYMONT.

Bah ! si l’on ne peut pas s’écrire, on se parle, c’est mon fort à moi. Dieu ! suis-je bavard !

Air : Comme il m’aimait !

Il faut causer ! (bis.)
Quand une femme vous inspire,
Il faut causer !
(bis.)
Et sans jamais se reposer ;
Car on ne peut pas tout s’écrire...
Tant qu’on a quelque chose à dire,
Il faut causer !

OLIVIER.

Eh ! je ne demanderais pas mieux ; mais il y a toujours là, près d’elle, une gouvernante inattaquable.

RAYMONT.

Oui, je sais, la dame Yolande.

OLIVIER.

Si elle avait le moindre soupçon...

RAYMONT.

Eh bien ! rassurez-vous. Quand vous verrez votre belle, avancez toujours, ne craignez rien.

OLIVIER.

Et si la dame Yolande se fâche ?

RAYMONT.

Vous me nommerez.

OLIVIER.

Toi ! Comment, drôle que tu es, tu fais la cour à la vertu la plus vieille et la plus laide ?

RAYMONT.

Ah ! sir Olivier, si vous saviez quelles bonnes confitures elle me fait manger ! et j’aime tant les confitures !

OLIVIER.

Parbleu ! et moi aussi... Et cette sévère Yolande s’humanise à ce point ! Ah ! en effet, tu es assez joli garçon.

RAYMONT.

Mais oui, j’ai quelque chose d’agréable. Tiens, parce qu’on est vilain, ce n’est pas une raison pour être laid... Eh ! mais j’entends le bruit des chiens, des chevaux et des varlets... c’est le sir de Brulard qui rentre. S’il soupçon nait la confidence que je vous ai faite... Vous m’avez promis le secret... à charge de revanche.

OLIVIER.

Je te le jure.

Air du Crédit et de la Fortune.

Ensemble.

Sur le secret il faut se taire,
En vos mains vous tenez } mon sort,
Car en tes mains tu tiens }
Agissons, mais avec mystère ;
Oui, c’est à la vie, à la mort.

OLIVIER.

Mais apprends-moi si la dame Yolande
Est informée ?...

RAYMONT.

Oh ! de rien sur ma foi
D’peur qu’on entende,
Faut que j’descende.

Il rentre dans le trou.

OLIVIER.

Où vas-tu donc ?

RAYMONT.

Vous l’voyez, j’rentr’ chez moi.

ENSEMBLE.

Sur ce secret il faut nous taire, etc.

À la fin de l’ensemble la trappe se referme sur Raymont.

OLIVIER.

Comment, Yolande, cette vieille folle qui parle toujours de sa vertu... Ah ! le sir de Brulard...

 

 

Scène III

 

OLIVIER, BRULARD, AMBROISE, HOMMES D’ARMES, VASSAUX, VARLETS

 

Tout le monde entre avant Brulard ; les vassaux se mettent à genoux.

CHŒUR.

Air de la Barrière du Combat.

De monseigneur célébrons la puissance !
Que le courroux de notre châtelain,
De ses vassaux punissant l’insolence,
Fasse trembler le serf et le vilain !

BRULARD, tout bardé de fer.

Holà ! mes hommes d’armes, mes chevaux et mes amis, je suis content, je dirai même plus, je suis satisfait ; je vois qu’au besoin je puis compter sur vous. Quant à mes chiens, c’est différent, ils n’y allaient pas de si bon cœur. Aussi pour leur apprendre à respecter ma sacrée autorité, je veux qu’on pende trois dogues et deux lévriers de ma meute ; et surtout qu’ils soient accrochés haut et court. Allez, et qu’on m’apporte à boire.

TOUS LES GENS DU CHÂTEAU.

Vive le sir de Brulard !

BRULARD, se tournant de l’autre côté.

Et vous, mes serfs, car vous êtes mes serfs, ce sont mes serfs, souvenez-vous que je ne vaux pas le diable quand je m’y mets... et comptez toujours sur les bonnes grâces de votre seigneur et maître.

LES VILAINS, se relevant.

Vive le sir de Brulard !

UNE JEUNE FILLE, seule.

Vive le sir de Brulard !

BRULARD, la prenant par la main.

Eh ! cette petite, elle n’est pas mal, la vilaine. Jeune fille, en attendant que je te marie, ce qui sera fort agréable pour moi, tu vas me servir à boire... Mon grand verre, et verse plein.

Elle prend une outre et une coupe sur la table à gauche. Brulard s’assied. Elle lui sert à boire.

AMBROISE.

Monseigneur, veut-il rendre la justice ?

BRULARD.

Approche, père Ambroise, approche, mon sage précepteur. Hein ! quelle tête ! quelle barbe ! ce n’est qu’à Pontoise qu’on en trouve comme ça ! Parle, mon vieux, parle... je veux rendre la justice, je suis en bonne disposition pour ça. À boire !

La jeune fille verse à boire

Air : Sous vot’ bon plaisir, monseigneur.

Des soins de ma châtellenie,
Je veux bien m’occuper un peu ;
Condamnons donc puisqu’on m’en prie,
Pour moi la justice est un jeu.
Devant mon tribunal auguste
Je permets à tous d’avoir peur...
Tremblez, car je vais être juste ;
Oui je serai juste, tout juste...
Sous mon bon plaisir de seigneur !

À Ambroise.

Parle.

AMBROISE.

Les serfs de Pierre-Fite refusent le service de la glèbe.

BRULARD.

Ces bonnes gens ! On leur enverra cinquante de mes hommes d’armes pour les mettre à la raison comme des Albigeois.

AMBROISE.

Le moine et le chevalier, que vous avez détroussés, de votre auguste main, sur la grand’ route, demandent qu’on leur rende ce qui leur a été pris.

BRULARD.

Qu’est-ce qu’on leur a pris ?

AMBROISE.

La liberté et la bourse.

BRULARD.

Ah ! ils demandent... C’est juste, qu’on leur rende la liberté, et qu’on garde la bourse. À boire !

On verse.

AMBROISE.

Le mari de cette grosse brune que vous retenez de force dans le château...

BRULARD.

Comment, cette grosse brune ?... elle est rousse.

AMBROISE.

Elle est brune.

BRULARD.

Elle est rousse !

AMBROISE.

Elle est... Au fait, vous devez le savoir mieux que moi. Eh bien ! son mari ose la réclamer.

BRULARD.

Comment, il a l’insolence !... Pauvre cher homme !... qu’on lui donne cinquante coups de bâtons sous la plante des pieds... ou plutôt, non... quelque chose de mieux... qu’on lui rende sa femme. À boire !

On verse.

AMBROISE.

Les moines de...

BRULARD.

Au diable ! c’est assez pour aujourd’hui... je n’ai plus soif.

On apporte un grand portrait. Olivier précède ceux qui le portent.

Qu’est-ce que c’est que ça ? quelle est cette figure bête que j’aperçois ?

OLIVIER, le genou en terre.

C’est votre portrait, mon gracieux maître, que ce célèbre peintre vénitien a termine.

BRULARD.

Ah ! je ne m’étonne plus si j’effraie tout le monde !

Air du Vaudeville du Charlatanisme.

C’est bien moi, je me reconnais,
Un chevalier des plus ingambes ;
Voilà mes yeux, voilà mes traits.

AMBROISE.

Et surtout voilà bien vos jambes.

BRULARD.

Là, tout est grand comme chez moi.

AMBROISE.

Oui, c’est une grandeur farouche !
Et sans compliment, je n’y vois
Que les oreilles, sur ma foi,
Qui soient plus grandes que la bouche.

On place le portrait à droite.

Et à quoi cela vous servira-t il ?

BRULARD.

Ça ne me servira à rien. C’est une petite surprise que je veux faire à ma femme.

OLIVIER.

Grand dieu !

BRULARD.

Mon page Olivier, va trouver, de ma part, ma pupille, Blanche de Cressy, c’est-à-dire la dame Yolande sa gouvernante, et dis leur que je les attends dans la salle d’honneur.

OLIVIER.

Oui, Monseigneur.

À part.

Ah ! je vais la voir !

Il sort.

BRULARD, à Ambroise, le tirant par la barbe.

Et toi, père Ambroise, as-tu pensé au testament du sir de Cressy ?

AMBROISE.

Certainement ; mais je n’ai pas trouvé de moyen pour l’éluder.

BRULARD.

Et moi, j’en ai trouvé un... une bonne perfidie, je suis unique pour ça... Blanche restera en mon pouvoir.

AMBROISE.

Vous l’aimez donc ?

BRULARD.

Oh ! oh ! c’est-à-dire depuis cinq ans, c’est moi qui tiens sa fortune, et je ne voudrais pas la lui rendre, c’est bien naturel.

Air du Vaudeville de Haine aux hommes.

Ses domaines touchent au mien,
J’en respectai peu les barrières,
Et sur son cœur si je ne gagnai rien,
Je gagnais beaucoup sur ses terres.
Tu comprends que je ne peux pas
Reculer jusqu’à ma frontière ;
Un homme de mon caractère
Ne revient jamais sur ses pas.

On entend du bruit sous terre.

TOUS, reculant.

Quel bruit !

AMBROISE.

Ah ! mon dieu !

BRULARD.

Chut !

Bas à Ambroise.

C’est le maçon qui travaille à mes oubliettes... Que personne ne sache... Plus tard nous en causerons.

OLIVIER, rentrant.

Monseigneur, voici la comtesse et sa gouvernante.

BRULARD.

Ah ! mon père Ambroise, reste à mes côtés ; et vous, mes hommes d’armes, mes varlets et mes vilains, sortez tous, et allez voir dans la cour du château si j’y suis encore. Allez.

TOUS, en sortant.

Vive le sir de Brulard !

BRULARD.

C’est agréable d’être le maître, on est dispensé de faire des politesses. Vous m’ennuyez, à la porte ; vous résistez ? pendu ; je ne connais que ça.

 

 

Scène IV

 

AMBROISE, BRULARD, OLIVIER, BLANCHE, YOLANDE

 

BRULARD.

Permettez, noble dame, que votre chevalier...

Il met un genou en terre, et lui baise la main.

AMBROISE.

Que mon élève est beau comme ça !

OLIVIER, à part.

Que va-t-il lui dire ?

BRULARD.

Olivier, remonte, mon ami, remonte, et tiens-toi là... Maintenant, ma belle cousine, à nous deux ; quand je dis à nous deux,

Montrant Ambroise.

c’est-à-dire à nous trois ;

Montrant Yolande.

à moins que ce ne soit à nous quatre.

BLANCHE.

Comme vous voudrez. Vous désirez me parler, j’ignore la raison...

BRULARD.

Elle est fort simple ! c’est que j’ai quelque chose à vous dire. Écoutez-moi, Blanche, ma pupille ; vous voilà jeune et jolie...

BLANCHE.

Ah ! de grâce...

BRULARD.

Si fait, si fait, vous êtes jolie.

AMBROISE.

Oh oui ! très jolie.

BRULARD.

Je veux vous donner un mari.

BLANCHE.

Avec plaisir, mon beau cousin.

BRULARD.

C’est le moment où vous devez en choisir un.

BLANCHE.

J’y pensais.

BRULARD.

Ah ! vous y pensiez.

À part.

Pauvre innocente, va !...

Haut.

Eh bien ! mon aimable pupille, demain vous aurez un mari. D’après le testament de votre père, mon beau cousin ; car dans la famille, nous sommes tous beaux, vous pouvez vous marier à seize ans, et vous avez seize ans.

AMBROISE.

C’est un bien bel âge !

BLANCHE.

Mais, vous le savez aussi, le testament porte qu’on me conduira dans le château de Cressy, afin que je désigne librement mon époux ; ainsi, mon beau cousin, rendez-moi la liberté.

AMBROISE.

La liberté ! quelle bouffonnerie !

BRULARD, le poussant.

Tais-toi donc !

BLANCHE.

Renvoyez-moi dans mon château, et c’est là, que je ferai savoir ma volonté.

OLIVIER, à part.

C’est bien, courage !

BRULARD.

Certainement, c’est comme cela que je l’entends.

Bas à Ambroise.

Je fais de la politique.

Haut.

Ce soir vous choisirez un époux... parmi vos chevaliers ; mais n’oubliez pas que j’en suis un, que je vous aime ; et... votre cœur est libre ? à moins que je n’aie un rival.

OLIVIER, à part.

Je tremble.

BRULARD, observant Blanche.

J’ai peut-être un rival !... Songez-y bien, si j’avais un rival ; je ne suis pas méchant, je suis doux comme un agneau ; mais il serait haché menu, menu, comme chair à pâté.

OLIVIER, se sauvant.

Ah !

BRULARD.

Hein ! qui est-ce qui a dit : Ah ? on a dit ah ?

AMBROISE.

C’est le page Olivier, qui a pris la fuite.

BRULARD.

Le page Olivier ! Est-ce que, par hasard, ma pupille...

BLANCHE.

Non, non ; mon beau cousin.

BRULARD.

Si c’était lui, il ferait l’essai des oubliettes.

YOLANDE et BLANCHE.

Les oubliettes !

AMBROISE, bas.

Prenez donc garde ; vous parlez des oubliettes... Et le secret ?

BRULARD.

C’est juste, j’ai dit une bêtise ; je n’en fais jamais d’autres. Blanche, je veux bien croire qu’il n’y a rien eu.

Bas à Ambroise.

Je fais encore de la politique.

Haut.

Ainsi, je lui pardonne.

Bas.

Qu’on l’arrête, et qu’on l’amène pieds et poings liés.

Haut.

Vous serez reconduite aujourd’hui même dans votre château.

Bas.

Mais j’en serai le maître.

Haut.

Je vais ordonner qu’on vous y présente un coffre rempli des plus belles étoffes, des étoffes superbes ! c’est mon présent de noces.

Air de Figaro.

Mais adieu, je m’en vais, je vous laisse ;
Songez bien que, grâce à ma tendresse,
En tous lieux vous serez la maîtresse,

À part.

Sous ma loi...
Car le maître c’est moi.

Montrant le portrait.

Mais admirez cette figure...
C’est la mienne... elle n’est pas mal...
Acceptez-en la portraiture,
En attendant l’original.

BLANCHE.

Merci, mon beau cousin.

BRULARD, à part.

Ton beau cousin... Ah ! traîtresse de beauté !

À Ambroise.

Songe à Olivier.

Reprise du chœur.

BRULARD.

Mais adieu, etc.

BLANCHE.

C’est en vain qu’il menace, qu’il presse !
Qu’en ces lieux une autre soit maîtresse,
Olivier, toi seul as ma tendresse...
Oui, ma foi,
Mon cœur, tout est à toi.

YOLANDE, bas à Blanche.

Ah ! cédez à l’amant qui vous presse,
De ces lieux vous serez la maîtresse,
De son cœur acceptez la tendresse...
Ah ! pourquoi
Ne bat-il pas pour moi ?

AMBROISE.

Quel honneur il fait à ma vieillesse !
Qu’il est beau quand il peint sa tendresse !
Mon élève, aux pieds de sa maîtresse,
Est ma foi,
Plus éloquent que moi !

Brulard et Ambroise sortent.

 

 

Scène V

 

BLANCHE, YOLANDE, ensuite OLIVIER, et puis RAYMONT

 

YOLANDE.

Eh ! quoi, Madame, est-ce que vous hésiteriez à l’accepter pour mari ?

BLANCHE.

Ah ! dame Yolande, il est si laid !

YOLANDE.

Quand on a de la vertu, un mari est toujours assez beau.

OLIVIER, paraissant.

Ah ! Blanche !

BLANCHE.

Olivier !

YOLANDE.

Eh bien ! eh bien ! que venez-vous faire ?

Air : C’est moi ! (de Léocadie.)

OLIVIER.

C’est moi ! (bis.) le tyran est parti,
J’ose à peine un instant me présenter ici...
Je tremble, mais du moins je vous vois... Pour mon cœur
C’est encor du bonheur !

BLANCHE.

C’est lui ! (ter.) Quoi ? vous osez ainsi,
Malgré notre tyran, vous présenter ici ?
Je tremble ; mais du moins je le vois... pour mon cœur
C’est encor du bonheur !

YOLANDE, se plaçant entr’eux.

Sortez ! (ter.) Quoi ? vous osez ainsi,
Devant moi, sans rougir, vous présenter ici ?
Imprudent ! gardez-vous d’outrager la pudeur
D’une dame d’honneur !

OLIVIER, passant de l’autre côté, à Blanche.

Si vous saviez comme j’ai tremblé pour vous et pour moi.

BLANCHE.

Ah ! je connais tout votre amour.

YOLANDE, se plaçant entr’eux.

Madame...

BLANCHE.

Dame Yolande.

YOLANDE.

Apprenez qu’on m’a nommée votre chaperon, et que votre honneur m’est aussi cher que le mien ; aussi je ne souffrirai pas...

OLIVIER.

Dame Yolande, Raymont le veut !

YOLANDE.

Raymont !

OLIVIER, à part.

Le nom produit son effet.

À Blanche.

Vous ne pouvez consentir à épouser votre tuteur.

BLANCHE.

Oh non ! jamais ; et quelque désir que j’aie de prendre un époux, j’aime mieux m’en passer.

YOLANDE.

Et voilà ce que je ne puis souffrir ! et je cours prévenir mon seigneur et maître.

BLANCHE.

Grand dieu !

OLIVIER, la retenant.

Yolande ! Raymont ne le veut pas !

YOLANDE.

Est-ce qu’il saurait ? n’importe, je dois...

OLIVIER.

Vous n’irez pas ; et s’il le faut, pour vous arrêter, Raymont viendra lui-même.

Très haut.

Raymont, Raymont !

Il frappe du pied.

RAYMONT, levant la trappe.

Même air.

C’est moi ! (ter.) n’allez pas me trahir ?
Vous m’avez appelé, je viens pour vous servir !...
J’entendais tout de là... Je vais à la douceur
Ramener sa pudeur.

BLANCHE.

Ô ciel ! que vois-je ici ?... l’effroi vient me saisir !...
D’où vient-il ? de quels lieux le faites-vous sortir ?
Pourra-t-il d’Yolande, apaisant la fureur,
Protéger mon bonheur !

OLIVIER.

C’est lui ! (ter.) Raymont, viens secourir
Deux malheureux amants qu’elle voudrait trahir.
Tu pourras mieux qu’un autre, apaisant sa fureur,
Protéger mon bonheur.

YOLANDE.

Ô ciel ! Raymont ! c’est lui ! je n’en puis revenir !
Silence ! devant eux ne vas pas me trahir !
Sois discret, et surtout ménage la pudeur
D’une dame d’honneur !

OLIVIER.

Ah ! Raymont ; elle veut nous perdre.

RAYMONT, sortant du trou.

Soyez tranquille ; la dame Yolande est trop bonne personne, elle a le caractère si doux... comme ses confitures.

YOLANDE.

Silence !... Ah ! ma fleur de vertu, que va-t-on dire de moi ?

RAYMONT.

Eh bien !... on dira que je suis un bon enfant... voilà tout.

Il la retient sur le côté de la scène.

BLANCHE.

M’expliquerez-vous par quel hasard ?...

OLIVIER.

Plus tard vous le saurez, mais ne parlons que de notre amour. Vous retournez au château de Cressy ?

BLANCHE.

Oui ; là je serai la maîtresse. Une fois entourée de mes hommes d’armes et de mes vassaux je fermerai mon château, comme mon cœur au sir de Brulard.

OLIVIER.

Et à moi ?

BLANCHE.

À vous !

OLIVIER.

Me sera-t-il permis de vous revoir, si je puis m’échapper d’ici ?

BLANCHE.

Prenez garde, le sir de Brulard a des soupçons.

YOLANDE.

Oh ! c’en est trop, laissez-moi ; mon devoir...

BLANCHE.

Dame Yolande !

OLIVIER.

Je vous en supplie !

RAYMONT, la retenant.

Allez, allez toujours ; je me dévoue.

Il se jette à ses pieds.

OLIVIER, à Blanche.

Oh ! le Ciel nous protégera. Je pénétrerai au château de Cressy, jusques sous vos fenêtres ; et, pour signal, je chanterai cette romance que vous m’avez donnée, mais que je ne puis lire. Vous la chantiez hier.

BLANCHE.

Partez, Olivier ; ma tourelle vous sera ouverte.

YOLANDE.

Qu’entends-je ?

Air : Le luth galant.

Un rendez-vous !

RAYMONT.

Vous m’y verrez aussi.

BLANCHE et OLIVIER.

N’en dites rien !

YOLANDE.

Moi ! me conduire ainsi !

RAYMONT.

De sa discrétion, notre amour est le gage,

À Yolande.

Pourquoi les chagriner,
Je serai du voyage...
Le péché qu’on a fait, le plaisir qu’on partage,
Il faut le pardonner.

OLIVIER.

Eh ! mais écoutez... j’entends... N’est-ce pas le félon ?

YOLANDE.

Je suis perdue !

RAYMONT.

Et moi donc ; s’il me trouve là, mon affaire est faite.

BLANCHE.

Olivier, éloignez-vous ; sortez.

OLIVIER.

Au château de Cressy !

Air de la Servante justifiée.

Je pars ! à ce soir !
De vous revoir
J’ai l’espérance !

BLANCHE.

Mais hélas ! mon cœur,
De mon tuteur,
Craint la vengeance.

OLIVIER.

Près de moi,
Calmez votre effroi !
Mon cœur d’avance
Répond du secret ;
Le bonheur est
Toujours discret.

ENSEMBLE.

Je pars, } à ce soir !
Partez,  }
De vous revoir
J’ai l’espérance ;
{ Mais hélas ! mon cœur
{ Bravant de grand cœur,
De mon } tuteur,
Votre     }
Craint la } vengeance.
Et sa      }

Olivier sort par la droite, et Blanche par la gauche.

Ensemble.

RAYMONT.

Hors du trou, ce soir
Il va me voir !
Quelle imprudence !
Je suis mort de peur !
Mon pauvre cœur
Craint sa vengeance.

YOLANDE.

Il vient... plus d’espoir !
Il va nous voir !
Quelle imprudence !
Adieu mon honneur ;
Mon pauvre cœur
Craint sa vengeance.

YOLANDE.

Ah ! Raymont ! Raymont.

RAYMONT, à la trappe.

Il vient par ici... impossible ! comment faire ? Ah !

Il se jette derrière le portrait du sir de Brulard.

YOLANDE.

C’est lui, je me meurs !

Elle est près du portrait, toute tremblante.

 

 

Scène VI

 

BRULARD, YOLANDE, RAYMONT, caché, AMBROISE

 

BRULARD entre en rêvant.

Je me promène lentement... avec toutes mes idées ; ce n’est pas lourd, heureusement... mais...

Apercevant Yolande.

Ah ! dame Yolande, que fais-tu ici ?

YOLANDE.

Monseigneur, je...

BRULARD.

Sors ; et va-t’en dire à ta maîtresse qu’elle se prépare à partir pour le château de Cressy ; dans un instant sa litière sera prête, et mes hommes d’armes vous suivront. Laissez-moi.

YOLANDE, à part.

Ah ! mon dieu ! s’il le découvre...

BRULARD, fait un mouvement.

Eh bien !

YOLANDE.

Je sors, Monseigneur.

À part.

Sainte Yolande, veillez sur nous !

Elle sort lentement, en regardant toujours le portrait.

RAYMONT, à part.

Voilà la peur qui me galope.

BRULARD.

Oui, Blanche sera ma femme... certainement, je ne serai pas assez bête pour lui rendre ses domaines et ses paysans qui sont d’un excellent rapport.

AMBROISE, à la cantonade.

Qu’on lui lie les pieds et les mains.

BRULARD.

Le page Olivier ?...

AMBROISE, arrivant en scène.

Je ne sais où il est... mais je viens de donner des ordres...

BRULARD.

Ah ! mon aimable page, comme tu vas la danser. En attendant, voici le moment où Raymont doit avoir terminé le travail des oubliettes.

AMBROISE.

Vous me parlez toujours de vos oubliettes... je les approuve, c’est une jolie invention.

BRULARD.

Oui, pour me défaire de mes amis, de ceux qui ont quelque chose à me redemander... mes voisins, par exemple.

AMBROISE.

Mais où sont-elles donc. ? je ne sais pas...

BRULARD.

Tant mieux pour toi ; car si tu les avais vues d’un œil, je te ferais crever l’autre. Je veux que ce soit un secret pour tout le monde, excepté pour ceux qui feront la culbute.

AMBROISE.

Bah ! et le maçon qui travaille sous terre, s’il allait répandre la chose.

BRULARD, montrant la trappe.

Chut ! il est là... Écoute par ici.

Il le fait passer devant lui, et le conduit près du tableau.

C’est justement de cela qu’il s’agit. Que me conseilles-tu de faire du maçon ?

RAYMONT, à part.

Ah ! tout mon sang se fige !

AMBROISE.

Moi, je vous conseille de... une bonne corde !

RAYMONT, à part.

Ah ! vieux coquin !

BRULARD.

C’est l’ancienne méthode, c’est la bonne ; mais j’ai encore une meilleure idée... Il attend que je le paie...

Air du premier Prix.

À Raymont je dois un salaire...
Mais je crains qu’il soit indiscret,
Et ma foi !... je vais m’en défaire,
Afin d’être sûr du secret.
C’est, puisque j’ai des oubliettes,
Un moyen pour les essayer...

RAYMONT, à part.

Et puis, lorsque l’on a des dettes,
C’est un moyen pour les payer !...

BRULARD.

Heim ?... pan !... jusqu’au fond... Qu’en dis-tu ?

AMBROISE.

C’est le Ciel qui vous inspire.

RAYMONT, à part.

Que le Ciel te le rende, va !

BRULARD.

Ainsi, c’est convenu... il va me livrer son ouvrage, et son compte est fait.

RAYMONT, à part.

C’est ce que nous verrons.

BRULARD.

Après lui, le page. Va voir s’il est arrêté... Et moi, je donne le signal pour appeler Raymont.

Ambroise va pour sortir.

RAYMONT, à part.

Ah ! mon dieu ! il va me trouver absent.

BRULARD, le rappelant.

Ou plutôt, écoute.

Ils se trouvent de l’autre côté.

Une autre idée ! si je l’enivrais ?...

Montrant la table.

Voilà du vin, une coupe...

RAYMONT, à part.

Je n’entends plus rien.

AMBROISE.

Il est certain que le moyen n’est pas mauvais. Ah ! voici la litière de la comtesse de Cressy.

BRULARD.

Chut ! qu’elle ignore surtout mes projets de vengeance. Je veux qu’elle me trouve toujours charmant... Heim ! me trouves-tu un peu charmant ?

AMBROISE.

Peut-on demander une chose comme ça ?

La porte du fond est ouverte, et l’on voit une litière portée par des paysans.

 

 

Scène VII

 

LES MÊMES, HOMMES D’ARMES, PAYSANS, et ensuite BLANCHE, YOLANDE, DAMES

 

CHŒUR.

Air : Entrée du roi au troisième acte du Hussard.

Partout sur son passage
Suivons-la, pressons-nous !...
Qu’au terme du voyage
Elle trouve un époux !...

BRULARD, à ses hommes d’armes.

Silence ! Écoutez-moi tous.

À demi-voix

Mes preux, accompagnez la comtesse jusqu’au château de Cressy, et là, emparez-vous de toutes les portes... que personne n’y pénètre que moi et ma suite... ce soir...

Haut, à Blanche, qui paraît suivie de Yolande.

Vous voyez, ma jolie pupille, la litière vous attend, une litière toute fraîche !

Montrant les paysans.

Je vous donne vingt bêtes de somme, comme vous voyez, qui vous porteront tour à-tour jusqu’à votre manoir ; et voici mes hommes d’armes, des figures superbes, qui ont ordre de vous protéger, et d’avoir pour vous des égards... oh ! mais des égards !...

RAYMONT, à part.

À faire trembler !

BRULARD.

Voulez-vous accepter ma main ?

BLANCHE.

Il le faut bien.

BRULARD.

Comme c’est aimable !

Il lui offre la main, et l’accompagne avec sa suite jusqu’en dehors.

Reprise du CHŒUR.

Partout, etc.

Tout le monde sort par le fond.

 

 

Scène VIII

 

RAYMONT, seul et tremblant

 

Par exemple ! me faire essayer mes oubliettes... Quel saut je ferais là !...

Se ranimant.

Non pas, non pas... Monseigneur a tous les droits, c’est vrai, nous lui appartenons... Je suis vilain, mon père est vilain, mes enfants seront vilains, des petits vilains... Nous sommes tous serfs de père en fils, à la bonne heure ; mais que j’aille là dedans... au fond... Allons donc c’est traître... et s’il a ce droit là, moi j’ai celui de me sauver, et je me sauve... Ah ! c’est lui !

 

 

Scène IX

 

RAYMONT, BRULARD, LE GRAND JUSTICIER, DEUX VARLETS

 

BRULARD, entrant.

Holà ! mon Grand-Justicier ! mes varlets !... Eh ! te voilà, mon bel ouvrier !

RAYMONT.

Pardon, Monseigneur, je...

BRULARD.

Eh bien ! as-tu fini ?

RAYMONT.

Oui, Monseigneur, oui... et je sortais pour vous le dire.

BRULARD.

Ainsi, tu n’as rien à faire là-dedans ? tu en a retiré...

RAYMONT.

Tout, Monseigneur.

À part.

Ne lui disons pas...

BRULARD, après avoir fait signe au justicier de rester au fond.

Montre-moi un peu...

RAYMONT, levant la trappe.

Voici, Monseigneur.

À part.

Pourvu qu’il ne voie pas...

BRULARD.

Dieu ! que c’est noir ! mais c’est d’un beau noir !

RAYMONT, tenant la trappe.

Et dire qu’en passant par là...

Montrant le dessous de la trappe.

à cinquante pieds, on roule dans les fossés, où l’on disparaît pour toujours.

BRULARD.

Pour toujours ! c’est admirable !

À part.

C’est le moment de l’expédier.

Haut.

Holà ! varlets, versez-lui de ce bon vin de Gisors.

Les varlets se placent près de la table à gauche, et lui offrent à boire.

RAYMONT.

Du vin, à moi ?... avec plaisir.

À part.

Comme il est aimable ! est-ce qu’il aurait changé d’avis ?

Il boit.

BRULARD, à part.

Il donne dans le piège.

Haut.

Encore, mon garçon.

RAYMONT, buvant.

Volontiers.

BRULARD, à part.

Il y redonne.

RAYMONT.

Pardon, Monseigneur, si j’accepte... mais le vin est si rare chez nous... avec ça que c’est vous qui buvez celui que nous faisons.

BRULARD.

Tu dis donc que je puis envoyer là-dedans quelqu’un... le premier venu... un ennemi... un ami... n’importe, la tête la première, et cela en forme de conversation...

RAYMONT.

Sans doute... je vais vous expliquer... il est là...

Il lui montre la trappe qui est à côté de celle d’où il est sorti.

BRULARD.

Il !... qui ?...

RAYMONT.

Il !... Eh bien, celui que vous voulez expédier.

BRULARD.

Ah ! oui, l’autre... je comprends... Versez à mon ouvrier.

RAYMONT.

Oui, versez donc à son ouvrier ; c’est-à-dire à l’ouvrier de Monseigneur. Ma foi, le vin est bon !... À la grâce de Dieu !

Il boit.

Et vous, vous êtes ici.

Il le place au bord de la trappe.

Et au moment qu’il s’y attend le moins... pan ! vous donnez un coup de pied sur ce bouton.

Il lui montre un petit bouton qui est dans le plancher.

Crac, la trappe s’ouvre, et celui qui est dessus, votre serviteur de tout mon cœur.

BRULARD.

Un coup là-dessus ?

RAYMONT.

Oui, un coup par là-dessus.

On lui donne à boire. Les varlets sortent. Le Grand-Justicier est toujours au fond.

BRULARD.

Ainsi, il suffira de donner un coup... pan...

Il donne un coup de pied sur le pied de Raymont, qui se trouvait près du bouton. La trappe s’enfonce et remonte aussitôt.

RAYMONT, levant le pied.

Aie !... Ne faites pas attention.

BRULARD.

Et la trappe est ouverte. Oui, ma foi ! Noble invention ! ingénieux mécanisme ! Et dire que, grâce à mes aïeux, les ressorts n’allaient plus. Voilà comme les belles institutions se rouillent ! Mais, de par Dieu ! je sauverai les privilèges de ma maison ! Je suis très content ; et toi, pour tes peines, bois ferme !

RAYMONT.

Oui, Monseigneur, je bois ferme.

Il va près de la table, se verse du vin et boit.

 

 

Scène X

 

LES MÊMES, AMBROISE

 

AMBROISE.

Monseigneur, le page Olivier est pris.

BRULARD.

Ah ! enfin...

RAYMONT, buvant.

Vive le sir de Brulard, et ses oubliettes !

BRULARD.

Te tairas-tu !... Mes oubliettes !... Il l’irait dire partout.

RAYMONT.

Moi, je ne dis rien ; je bois.

Il boit.

AMBROISE.

On va vous amener Olivier ; mais d’abord, voici ce qu’on a trouvé sur lui.

BRULARD, prenant le parchemin.

Qu’est-ce que cela ? de l’écriture.

AMBROISE.

Il paraît que c’est de la main de votre pupille.

BRULARD.

Voyons... je ne peux pas. Ah ! pourquoi ne m’as-tu pas appris à lire ?

AMBROISE.

Je vous ai appris tout ce que je savais.

BRULARD.

C’est vrai... Et toi, vilain, sais-tu déchiffrer ?

RAYMONT, buvant toujours.

Attendez que celui-là soit passé... Si je sais déchiffrer, je crois bien ; je déchiffre comme un moine.

AMBROISE.

Lis donc, manant.

RAYMONT.

Oh ! oh ! le grossier.

BRULARD.

Liras-tu, enfin ?

AMBROISE.

Il faut lui donner cinquante coups...

RAYMONT.

Par exemple... Attendez... Voilà. C’est étonnant, je vois trouble.

Il lit.

AMBROISE.

Songe d’amour ! rends-moi mon damoisel,
C’est Olivier de Francastel.

BRULARD, avec fureur.

Olivier de Francastel ! c’est lui !

AMBROISE, qui se trouve sur la trappe.

C’est le page !

BRULARD, frappant du pied.

Damnation ! c’est lui qu’elle aime.

En trépignant, il fait partir le ressort de la trappe ; elle s’ouvre, et Ambroise crie en disparaissant.

AMBROISE.

Miséricorde !

La trappe se referme.

BRULARD.

Qu’est-ce que j’ai fait ? Ambroise !

RAYMONT.

Le bouton... Là, j’en étais sûr ; il y est. Hein ! quel saut !... à sa santé !

BRULARD, riant.

Comment c’est lui qui a fait l’essai ? ah ! ah ! ah !

RAYMONT, riant aussi.

Oui... n’est-ce pas, c’est drôle ?

BRULARD.

Comme il a disparu ! crac !... Ah ! mon dieu, que c’est commode, et amusant, surtout.

RAYMONT.

Pauvre cher homme ! il est bien heureux que...

BRULARD.

Qu’est-ce que tu dis ?

RAYMONT.

Moi ? je dis que voilà un fameux travail. Comme le ressort a joué.

Il boit.

BRULARD.

Tu trouves.

À part.

À ton tour, manant.

Haut.

Mais non, ça va tout de travers.

RAYMONT.

Ah ! Monseigneur, vous avez vu le père Ambroise, s’il a bien passé.

BRULARD.

Non, la trappe se voit trop.

RAYMONT, s’approchant de la trappe.

Bah ! laissez donc, quand on est là...

On entend des cris au dehors.

BRULARD.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

 

 

Scène XI

 

LES MÊMES, OLIVIER, HOMMES D’ARMES

 

OLIVIER, poursuivi parles hommes d’armes, et se jetant aux pieds de Brulard.

Monseigneur, pardon, pardon.

Air : Sortez, sortez ! (de la Fiancée.)

BRULARD.

C’est toi, page Olivier qui, près de sa future,
A fait le damoiseau...

OLIVIER.

Monseigneur, je vous jure...

BRULARD.

Je te jure, mon bel ami,
Que tu vas la danser ici.

OLIVIER.

Pardon ! pardon ! pardon ! hélas !
Monseigneur, ne me tuez pas.

CHŒUR DES HOMMES D’ARMES.

C’est lui ! c’est lui ! suivons ses pas,
Et surtout ne l’épargnons pas.

RAYMONT, ivre et placé sur la trappe, une coupe à la main.

Monseigneur, je vous prie de me dire en conscience, si on se douterait...

BRULARD.

De rien.

Il donne un coup sur le bouton, la trappe s’ouvre, et Raymond disparaît en criant.

Adieu, mon bel ouvrier.

Montrant Olivier à son Grand-Justicier.

À lui ! comme les autres, dans le trou.

On saisit Olivier, il se débat ; et le rideau tombe au moment où l’on va le jeter dans les oubliettes.

 

 

ACTE II

 

Le Théâtre représente un pavillon gothique, ouvert sur la cour d’honneur du château, et où l’on voit les remparts ; le pont levis, etc. etc. et au loin la campagne. Des deux côtés de la scène, sur le devant, il y a deux petites colonnes supportant des armes du temps. À l’une d’elles, à gauche, il y a une tête de saint. Un grand fauteuil à droite, fermé par un large ressort.

 

 

Scène première

 

BLANCHE, YOLANDE

 

Au lever du rideau on entend dans la coulisse un chœur de buveurs. Blanche, assise à gauche, est rêveuse. Yolande regarde avec inquiétude dans le fond.

CHŒUR. (du Comte Ory.)

Buvons, chantons (bis.) gaiement.
Rien n’est si bon vraiment,
Que le vin du manant.
De vin, fille craintive,
Enivre-nous le jour,
Et, quand la nuit arrive,
Enivre-nous d’amour ;
Oui, chômons tour à tour,
Et le vin et l’amour !

BLANCHE.

Romance.

D’un tuteur félon, prisonnière,
Je dois souffrir ses aveux chaque jour ;
Mais dès que j’ai clos ma paupière,
Un autre alors vient me parler d’amour.
Songe d’amour ! rends-moi mon damoisel,
C’est Olivier de Francastel !

Reprise du Chœur en dehors.

BLANCHE.

Qu’est-ce donc, Yolande ? Ces hommes d’armes...

YOLANDE.

Ce sont les démons du sir de Brulard. Ah ! Madame, ils se sont emparés de tous les postes, et ils ont fait entrer avec eux...

BLANCHE.

Qui donc ?

YOLANDE.

Dix outres pleines de vin qu’ils ont enlevées, en votre nom, à un vilain du voisinage ; et de plus, toutes les jeunes filles qui se sont trouvées sans défense, et il y en avait beaucoup... Et moi-même, Madame, ils m’ont presque manqué de respect... J’aurais bien voulu voir ça !

BLANCHE.

Quelle trahison ! Il me renvoie dans mon château, mais il m’y fait prisonnière. Et dis-moi, tu n’as pas entendu le signal ?

YOLANDE.

Non, Madame.

BLANCHE.

Est-ce qu’Olivier manquerait à sa parole ?

YOLANDE.

Vous y pensez encore ?

BLANCHE.

C’est mon chevalier ! il me délivrerait peut-être !

Chœur en dehors.

YOLANDE.

Vive le sir de Brulard !

BLANCHE.

Ah ! mon dieu ! ils ne s’en iront pas !

YOLANDE.

C’est une indignité ! troubler ainsi des jeunes femmes dans leurs méditations !

BLANCHE.

Va, Yolande, va leur dire de s’éloigner encore.

YOLANDE.

Ah ! Madame, si vous saviez à quoi on est exposé... N’importe, je me dévoue.

Le bruit redouble. Elle sort.

 

 

Scène II

 

BLANCHE, seule

 

Que faire ? Mes domaines sont en son pouvoir... Si j’étais au milieu de mes hommes d’armes, de mes serfs et de mes varlets, derrière les créneaux de ce manoir, je soutiendrais un siège comme tant d’autres... Mais quel chevalier viendra combattre pour moi ?

Air de Caleb.

Ô vous qui prenez la défense
De l’honneur et de la beauté !
Accourez, Chevaliers de France,
Et rendez-moi la liberté !
Ici je vous appelle ;
Vous avez du trépas
Sauvé plus d’une belle
Qui ne me valait pas !...
Pour payer un si beau zèle,
Je promets à mon Chevalier
Tout... excepté ce cœur fidèle
Que je garde pour Olivier !...

 

 

Scène III

 

BLANCHE, YOLANDE

 

YOLANDE, rentrant tout éperdue.

Ah ! Madame !... Madame !... je n’en puis plus, je me meurs.

Elle va pour s’asseoir sur le fauteuil à droite.

BLANCHE, poussant un cri.

Ah ! malheureuse, ne t’assieds pas dans ce fauteuil.

YOLANDE, s’éloignant avec effroi.

Pourquoi donc ?

BLANCHE.

Je t’expliquerai cela ; mais dis-moi d’abord, que viens tu d’apprendre ? qu’as-tu à m’annoncer ?

YOLANDE.

J’ai trouvé tous ces soudards, la coupe en main ; il y avait au milieu d’eux un des varlets du château de Pontoise, qui leur annonçait l’approche du sir de Brulard.

BLANCHE.

Ah ! Dieu !

YOLANDE.

On l’aperçoit de loin au milieu de ses hommes d’armes, c’est-à-dire, on aperçoit un nuage de poussière ; mais il est dedans, le traître !... Si vous saviez ce que j’ai appris ! le sir de Brulard a fait saisir...

BLANCHE.

Le page Olivier !

YOLANDE.

Oh ! lui, ça m’est égal ; mais ce pauvre Raymont.

BLANCHE.

Qu’est-ce que ça me fait ! Et que sont-ils devenus ?

YOLANDE.

On n’en sait rien ; mais on parle de fossés, de trappe, d’oubliettes.

BLANCHE.

Ô ciel !

YOLANDE.

Maintenant que deviendrons-nous ?

BLANCHE.

Hélas ! l’innocence a si peu de protecteurs !

YOLANDE.

Aussi, comme on la traite !

Air : Un homme pour faire un tableau.

L’innocence est comme un vilain,
Chacun lui fait payer la dime ;
Du chevalier, du châtelain,
Tour à tour elle est la victime.
On la poursuit, on la défend,
On combat d’estoc et de taille,
Et c’est elle qui bien souvent
Reste sur le champ de bataille.

On entend le son du cor.

Le son du cor !...

BLANCHE.

C’est mon tuteur ! ô ciel !

YOLANDE.

Oui, j’aperçois les hommes d’armes... ils entrent en foule...

BLANCHE.

Je suis perdue... Mon tyran vient de ce côté.

RAYMONT, dans la coulisse à gauche, chantant.

Songe d’amour ! rends-moi mon damoisel,
C’est Olivier de Francastel.

YOLANDE.

Qu’entends-je ! Madame, écoutez donc.

BLANCHE.

C’est le signal.

YOLANDE.

C’est singulier... cette voix m’a tout émue... c’est Raymont !

BLANCHE.

Que dis-tu ?... c’est Olivier !... je l’attends.

YOLANDE.

C’est que moi aussi... j’attends l’autre.

BLANCHE.

Va, Yolande, sauve ce malheureux.

Elle sort à gauche.

 

 

Scène IV

 

BLANCHE, BRULARD, HOMMES D’ARMES

 

Brulard est en costume de chevalier.

CHŒUR.

Air de Doche.

De Brulard, la troupe fidèle,
Des pages et des écuyers,
Vient annoncer à la plus belle,
Le plus brave des chevaliers !...

BRULARD, en habit de chevalier, un faucon sur le poing.

Restez sous les armes, baissez le pont-levis... Ah ! c’est elle ! Voyons un peu quel effet je vais produire sous mon habit de chevalier.

À Blanche, qui lui tourne le dos.

Blanche, j’ai un peu tardé à vous rejoindre, je voulais paraître en ces lieux avec un costume digne de vous.

À part.

Elle ne regarde pas mon habit de chevalier...

Appuyant.

Avec un costume digne de vous.

BLANCHE, à part.

Il est encore plus laid comme ça !

BRULARD, à part.

Elle a vu mon habit de chevalier !

BLANCHE.

Sir de Brulard, vous m’avez trompée ! le testament de mon père...

BRULARD.

Il est exécuté. Vous êtes dans votre château, mais je suis toujours votre tuteur ; aussi mes hommes d’armes vous entourent ; je commande pour vous ; vous ferez ce que je voudrai ; vous choisirez l’époux qui me plaira ; et du reste, vous jouissez d’une liberté entière, pour ne pas dire illimitée.

BLANCHE.

Mais cet époux, comment le choisir, puisque vous êtes seul ?

BRULARD.

C’est vrai, je suis seul !

BLANCHE.

Eh bien !

BRULARD.

Eh bien ! c’est beaucoup plus commode ; quand on a un choix à faire entre plusieurs chevaliers, plusieurs beaux chevaliers, on est embarrassé ; mais quand il n’y en a qu’un, c’est fait tout de suite, on peut même choisir les yeux fermés ; ainsi me voilà.

BLANCHE.

Mon beau cousin, vous êtes un tyran.

BRULARD.

Oh ! laissez donc, méchante.

BLANCHE.

Mais si je ne veux pas me marier, si je veux rester damoiselle comme je suis ?

BRULARD.

C’est difficile, ma chère amie.

BLANCHE.

Je m’adresserai à la reine Blanche, ma noble marraine.

BRULARD.

Je m’en moque.

BLANCHE.

Encore, si vous disputiez mon cœur dans un combat, dans un tournois !

BRULARD.

Dans un tournois ! quelle folie ! Je pourfendrais tous mes rivaux, et je reviendrais peut-être le corps fracassé, les côtes enfoncées, le nez cassé... vous en seriez bien plus avancée et moi aussi ! J’aime mieux vous donner un époux en bon état, et un époux si doux, si tendre, un habitant de Pontoise enfin... Et vous savez que Pontoise est le pays de la sensibilité... c’est là que les hommes pleurent comme des...

BLANCHE.

Je sais... mais je ne crois pas à votre bonté... Ces malheureux... ce page, ce maçon qui ont disparu...

BRULARD, à part.

Oh ! dieu ! est-ce qu’elle saurait ?...

BLANCHE.

Où sont-ils, mon beau cousin ?

BRULARD.

Je n’en sais rien... foi de chevalier !

BLANCHE.

Si vous aviez attenté à leurs jours, je vous abhorrerais.

BRULARD.

Alors, vous ne m’abhorrerez pas.

À part.

Ils ne reviendront pas lui dire...

Haut.

Vous m’aimerez, ma jolie pupille.

BLANCHE.

Vous croyez ?

BRULARD.

Oui, vous m’aimerez.

Yolande entre en scène et fait des signes à Blanche.

BLANCHE, observant Yolande.

Que veut-elle me dire ?

BRULARD, à Blanche, avec douceur.

Vous seriez si heureuse avec moi ! Il n’y a pas de gentilhomme plus facile à mener.

BLANCHE, observant toujours Yolande.

Vous me feriez croire que vous serez...

BRULARD.

Votre esclave, votre serf ; tout ce que vous voudrez, ma chère amie.

À part.

Gueux de câlin que je suis !

BLANCHE, à part.

Le renvoyer !

BRULARD.

Le prieur est sans doute arrivé à la chapelle ; voulez voulez-vous que j’aille faire hâter la cérémonie ?

Yolande fait signe à Blanche.

BLANCHE.

La cérémonie ?... eh bien, oui, je verrai ; donnez des ordres. Allez, mon beau cousin.

BRULARD.

Ah ! que de bien vous me faites. On va vous apporter ma portraiture, et le petit coffre qui renferme mon cadeau de noces. Je vais donner des ordres pour que vos vassaux viennent danser, et vous fêter toute la nuit.

BLANCHE.

Ah ! respectez leur sommeil !

BRULARD.

Leur sommeil !... est-ce que ces gens-là ont un sommeil à eux ? est-ce qu’ils ont quelque chose... Par exemple, avec ces idées-là, on ne s’y reconnaîtrait bientôt plus. Je vais donner mes ordres. Holà !... ma suite, marchez devant moi ; chantez mes vertus, et soyez contents comme des vilains que vous êtes.

CHŒUR.

De Brulard, compagnons fidèles,
Nous pages, varlets, écuyers,
Chantons la plus belle des belles,
Et le plus beau des chevaliers !

Ils sortent.

 

 

Scène V

 

BLANCHE, YOLANDE, RAYMONT

 

BLANCHE.

Eh bien ! je l’ai renvoyé ; que me veux-tu ?

YOLANDE.

Il est là, Madame.

BLANCHE.

Mon page ?

YOLANDE.

Non, l’autre. Viens, mon petit, viens.

RAYMONT, entrant.

Ah ! je suis tout tremblant !... S’il me découvrait !...

BLANCHE.

Mon ami, dis-moi où est Olivier ?

RAYMONT.

Rassurez-vous... nous sommes sauvés tous les trois.

BLANCHE, regardant Yolande.

Tous les trois !

YOLANDE.

Je vous jure, Madame, que je n’en attendais qu’un.

RAYMONT.

Ah ! oui, c’est que vous ne savez pas... le plus drôle de l’histoire... le père Ambroise...

BLANCHE et YOLANDE.

Ambroise !

RAYMONT.

C’est lui qui a fait le premier saut dans les oubliettes que j’avais réparées, et moi le second... C’est le bon Dieu qui m’a puni.

YOLANDE.

Ô ciel ! vous êtes tombé !...

RAYMONT.

Dans le trou. C’est le paiement que m’a fait le sir de Brulard... Scélérat de sournois, va !

BLANCHE.

Est-ce qu’Olivier aurait aussi ?...

RAYMONT.

Certainement, puisque je l’ai reçu sur mes épaules.

BLANCHE.

Et comment vous êtes-vous échappés ? par quel miracle ?...

YOLANDE.

C’est ma patronne...

RAYMONT.

Non ; il ne faut pas la flatter... il n’y a pas eu de miracle.

Prenant le milieu de la scène.

C’est grâce au plancher mobile qui m’aidait dans mon travail, et qui se trouvait disposé de manière à adoucir la chute, et à m’arrêter en chemin : c’est là que nous nous sommes retrouvés tous les trois... après nous être un peu remis du coup qui avait été solide, et qui m’avait dégrisé.

YOLANDE.

Vous étiez donc ?...

RAYMONT.

J’étais dedans. Nous parvînmes, en nous aidant tous les trois, à gagner le fond des oubliettes ; et en nous glissant avec précaution jusqu’aux fossés, nous nous sommes abandonnés aux eaux de l’Oise qui baigne le château... Le page nageait en avant ; je le suivais, traînant par la barbe le révérend père Ambroise, à qui je faisais boire un coup de temps en temps, pour les bons conseils qu’il donne à son maître.

Air de Marianne.

Tout en voyageant de la sorte,
La force nous manque, et soudain
Nous enfonçons, l’eau nous emporte ;
J’implorais nos patrons !... en vain !...
Mais Olivier
De s’écrier :
« Blanche ! »... et voilà
Soudain qu’à ce nom là
Le cœur revient,
L’eau nous soutient,
Et sans effort
Nous nageons vers le port...
Nous arrivons, l’un portant l’autre !...
En faisant au ciel, de grand cœur,
Des r’merciements pour notr’ bonheur,
Et des vœux pour le vôtre !...

BLANCHE.

Enfin, Dieu soit béni, vous voilà sauvés !

RAYMONT.

Pas du tout ; car le sir de Brulard se mettait en route... et, pour échapper aux hommes d’armes qui passaient près de là, nous nous jetâmes dans les bois environnants.

BLANCHE.

Et Olivier ?...

YOLANDE.

Et le père Ambroise ?...

RAYMONT.

Je ne sais ce qu’ils sont devenus. Je me rappelle seulement qu’Olivier avait trouvé un moyen d’arriver jusqu’à vous.

BLANCHE.

Et lequel ?

RAYMONT, regardant autour de lui.

Oui, lequel ? c’est ce que je me demande ; mais j’étais si fort étourdi du coup, que ma mémoire... Eh mais ! où suis-je ? quel est ce pavillon ?... Est-ce un rêve !... non, je ne me trompe pas...

BLANCHE.

C’est le pavillon qui tient au château de Cressy.

RAYMONT.

Oui, c’est cela ; j’y ai travaillé... avec mon oncle. Il doit y avoir ici une trappe.

Il va à la colonne à gauche.

Ah ! cette colonne, oui... il faut tirer.

Il tire la tête de saint. La trappe sur laquelle est le fauteuil, baisse et remonte aussitôt.

YOLANDE et BLANCHE.

Qu’est-ce donc ?

RAYMONT.

Eh ! laissez-moi. Ce fauteuil...

BLANCHE.

N’y touchez pas ! il y a un ressort, un secret, que sais je !... On l’appelle le fauteuil du sorcier. Prenez garde.

RAYMONT, faisant partir le ressort.

Ne craignez rien, ça me connaît ; c’est mon oncle qui a établi...Dam’ ! il avait du talent.

Le fauteuil est ouvert.

YOLANDE.

Expliquez-vous.

RAYMONT.

Mille idées se croisent, se confondent dans ma pauvre tête ; si je pouvais... pourquoi pas ? Le sir de Brulard est mon seigneur, mais je suis dans vos domaines, noble dame ; il n’a plus de droits ici, vous les avez tous ; et avec votre permission... Oui, je me vengerais, je vous vengerais, je nous vengerais tous... et je serai... je serai peut-être pendu.

BLANCHE et YOLANDE.

Grand dieu !

RAYMONT.

Air : Mon mari m’appelle, je gage.

Le même intérêt nous rassemble,
Il le faut, conspirons ensemble...
Mais mon projet peut me perdre... je tremble !...
N’importe ! mon cœur s’y résout.

BLANCHE.

Pour ta récompense demande
De l’or... des présents... Yolande...

YOLANDE.

Oui, le cœur et la main d’Yolande !...

RAYMONT.

Vous me gâtez !... Ah ! gardez tout.

Pendant le chant, des varlets ont apporté le portrait qu’on a vu au premier acte, et un grand coffre.

YOLANDE.

Madame, on vous apporte les présents du sir de Brulard.

BLANCHE.

Eh ! que m’importe.

Aux Varlets.

Retirez-vous ; je ne recevrai rien de lui.

RAYMONT.

Ces présents... Attendez donc... oui, je me rappelle ; c’est ce coffre...

BLANCHE.

Eh bien ! ce coffre ? achevez...

RAYMONT.

Peut-être qu’Olivier...

Il lui parle bas.

BLANCHE.

Olivier !... C’est bien, mes amis, c’est bien... Déposez cela ici.

YOLANDE, à Raymont.

Où vas-tu, Raymont ?

RAYMONT.

Me perdre, ou vous sauver.

Ensemble.

Reprise en CHŒUR.

Le même intérêt nous rassemble,
Il le faut, conspirons ensemble...
Mais { mon projet peut nous perdre... je tremble...
         { son
N’importe ! mon cœur s’y résout !

Il sort par la gauche. Les varlets sortent d’un autre côté.

BLANCHE.

Moi, j’ouvre ce coffre ; mais la clé, où est-elle ?

 

 

Scène VI

 

YOLANDE, BRULARD, BLANCHE, ensuite AMBROISE

 

BRULARD, paraissant.

La voici, ma jolie pupille.

YOLANDE, à part.

Ciel !

BLANCHE, à part.

Je suis morte !

BRULARD.

Tiens, Yolande, ouvre ce coffre.

À Blanche.

J’ai voulu vous présenter moi-même...

BLANCHE, arrêtant Yolande.

C’est inutile... de grâce... Je n’ai pas besoin...

BRULARD.

Bon ! ça vous fera plaisir.

BLANCHE.

Mais je ne veux pas.

BRULARD.

Quelle bêtise ! si je le veux. Je vous préviens que j’ai la tête un peu dure, et que lorsque j’ai quelque chose là... du reste, je ferai tout ce que vous voudrez... Ouvrez le coffre.

BLANCHE.

Mais si j’aime mieux, quand je serai seule...

BRULARD.

Non, ouvrez donc, je veux jouir de votre surprise ; d’ailleurs il faut vous parer, on nous attend dans la chapelle, et...

Le coffre s’ouvre.

Qu’est-ce c’est que ça ?

BLANCHE.

Grâce, grâce pour lui.

AMBROISE, dans le coffre.

Ah ! Monseigneur ! ne me tuez pas.

TOUS.

Ambroise !

BRULARD, le tirant du coffre.

Comment c’est toi ! et d’où viens-tu comme ça ?

AMBROISE, tremblant.

Monseigneur, je reviens de Pontoise.

BRULARD.

Par exemple, c’est un peu fort ; lui qui doit être mort depuis hier. Et pourquoi n’es-tu pas mort ?

AMBROISE.

Monseigneur, ce n’est pas ma faute, ni la vôtre non plus. Ces maudites oubliettes...

BRULARD.

Tais-toi.

BLANCHE.

Ah ! les oubliettes !

BRULARD.

Laissez donc, c’est une plaisanterie, une pure plaisanterie.

AMBROISE.

Je n’osais reparaître devant vous, dans la crainte de retourner là-bas ; et je venais ainsi, demander à Madame asile et protection.

BRULARD.

C’est bien, c’est bien ; je te pardonne de ne pas être mort, pourvu que les autres y soient restés.

 

 

Scène VII

 

YOLANDE, BRULARD, BLANCHE, AMBROISE, OLIVIER, en frère quêteur, VARLETS, HOMMES D’ARMES, ensuite RAYMONT

 

UN HOMMES D’ARME.

Monseigneur...

BRULARD.

Eh bien ! quoi ?... qu’est-ce ?... que me voulez-vous encore ?

L’HOMME D’ARMES.

C’est un frère quêteur, qui rôdait autour du château, et cherchait à y pénétrer ; on l’amène devant vous, selon vos ordres.

BRULARD.

Qu’on le pende !

OLIVIER, s’élançant vers lui.

Me pendre ! Ah ! miséricorde !

BRULARD.

Qu’on l’entraîne, je suis en colère ; il paiera pour tout le monde.

OLIVIER.

Ah ! Monseigneur, je vous en supplie, laissez-moi continuer ma route.

BLANCHE, à part.

Cette voix...

BRULARD.

Tu voulais entrer dans le château, me désobéir ; tu seras pendu.

OLIVIER.

Seigneur traître et félon, tu n’es pas le maître ici ; c’est à Blanche de Cressy que j’en appelle.

BRULARD, le prenant par la barbe.

Je crois que tu m’insultes... Je t’arracherai la barbe.

OLIVIER.

Laissez-moi.

BRULARD.

Non, je veux...

La barbe lui reste à la main.

Que vois-je !

OLIVIER.

Je suis perdu.

BLANCHE.

Olivier !

BRULARD.

Mon page ! Et d’où viens-tu ?

OLIVIER.

Monseigneur, je reviens de Pontoise.

BRULARD.

Malédiction ! je suis trahi ; mais ça vous coûtera cher à tous, je vais...

Il se trouve nez à nez avec Raymont.

Grand dieu !... Manant, que fais-tu là ? d’où viens-tu ?

RAYMONT.

Monseigneur, je reviens de Pontoise.

OLIVIER.

Comme moi.

AMBROISE.

Comme moi.

BRULARD.

Je n’en reviens pas.

Air : Fragment de la Gazza. (Marie Mignot.)

Quelle surprise !... est-ce de la magie ?
Ils étaient morts !... je les retrouve en vie !...

Ensemble.

Oser paraître en ma présence !
Je punirai votre insolence !
Sur vous
Tombera mon courroux !...

BLANCHE, YOLANDE, OLIVIER.

Ah malheureux ! quelle imprudence !
Fuyons, redoutons sa vengeance ;
Sur nous
Tombera son courroux !

RAYMONT.

Du courage ! de la prudence !
Il faut éviter sa vengeance !
Échappons tous
À son courroux...

BRULARD.

Ressusciter sans que je le commande !
Ils remourront !...

TOUS.

Monseigneur !...

BRULARD.

Qu’on les pende !

Ensemble.

Oser paraître en ma présence !
Je punirai votre insolence !
Non, laissez-moi, vous mourrez tous !
Quelle colère !
Bientôt, j’espère,
Vous ne pourrez échapper à mes coups !

RAYMONT.

Du courage ! de la prudence !
Il faut éviter sa vengeance !
À le punir préparons-nous.
Laissons le faire,
Et sa colère
Va dans l’instant le livrer à nos coups.

BLANCHE, OLIVIER, YOLANDE.

Ah malheureux ! quelle imprudence !
Comment éviter sa vengeance ?
Ah ! monseigneur, épargnez-nous.
Quelle colère !
Et comment faire
Pour échapper ensemble à son courroux ?...

BRULARD, à Olivier.

Tu seras accroché au plus bel arbre de la route.

BLANCHE.

Ah ! mon beau cousin ! j’embrasse vos genoux.

BRULARD.

C’est encore une bêtise, ma chère amie ; voulez-vous que je fasse grâce à un drôle qui veut me... allons donc ! ça n’a pas le sens commun ; tout ce que je puis faire pour vous, c’est de vous épouser une heure plutôt.

À Raymont.

Pour toi, mon cher ami, mon bon ouvrier, je te ramène à Pontoise ; et nous verrons si tu en reviens.

YOLANDE, pleurant.

Ah !...

RAYMONT.

Je n’y suis pas encore.

BRULARD.

Tu résistes... Holà ! que mes varlets m’entourent, que mes soudards soient sous les armes, et que mon grand justicier vienne ici recevoir mes ordres. Qu’on m’approche un siège, et qu’on me verse à boire, car j’étouffe de colère ; c’est là comme un poids.

AMBROISE, prend une coupe et verse à boire à Brulard, près du fauteuil à droite.

Voici Monseigneur.

TOUS.

Nous sommes perdus !... Monseigneur...

BRULARD.

Non, mes petits amis, non ; vous la danserez tous... Et par la barbe de mes ancêtres...

Il s’assied.

BLANCHE.

Ciel ! le fauteuil !

BRULARD.

Hein ! plaît-il ?

Raymont touche le ressort du fauteuil, qui presse tout-à-coup le sir de Brulard.

Oh ! la, la, lâchez-moi donc ; vous m’enfoncez les côtes... Aie !

RAYMONT.

Je vous demande bien pardon, Monseigneur ; mais j’ai l’honneur de vous tenir, à votre tour.

AMBROISE.

Ah ! mon dieu !

BRULARD.

Lâche-moi, ou tes oreilles...

OLIVIER.

Prenez garde aux vôtres.

BRULARD, cachant ses oreilles.

Pas de mauvaises plaisanteries.

RAYMONT.

Soyez tranquille, je les couperai avec tout le respect qui vous est dû.

BRULARD.

Ce fauteuil...

RAYMONT.

Ah ! ce sont des oubliettes qui sont plus sûres que les vôtres.

BRULARD.

Des oubliettes dans ce château !

RAYMONT.

Vous êtes sur la trappe, et si je tire ce ressort, elle s’enfonce avec le fauteuil et vous.

OLIVIER.

Ah ! Raymont, tire un peu.

BLANCHE.

Grâce pour lui !

BRULARD.

Au secours ! trahison !

RAYMONT, faisant jouer le ressort.

Si vous dites un mot, avec votre permission, je vous en voie au fond.

Le fauteuil s’enfonce.

BRULARD.

Ah ! je suis mort.

En suppliant.

Mon petit maçon...

RAYMONT.

Voilà vos hommes d’armes et votre justicier. Vous allez avoir la bonté, car vous êtes si bon, de confirmer tous les ordres que nous donnerons, sinon le ressort...

BRULARD.

Grâce !... Tout ce que vous voudrez, mais qu’on me remette sur mes jambes.

OLIVIER, faisant arrêter tous les gens du sir de Brulard, qui paraissent au fond.

Arrêtez tous, et écoutez les ordres de votre seigneur et maître, le sir de Brulard. Il veut que ses hommes d’armes quittent à l’instant même le château de Cressy, et le remettent aux vassaux de la Comtesse.

BRULARD.

Par exemple, me faire dire une pareille...

Le fauteuil s’enfonce.

Oui, allez tous m’attendre à Pontoise, si j’y retourne... Ambroise, prie pour moi.

AMBROISE, pleurant.

C’est ce que je fais...

BLANCHE.

Et moi je déclare que, selon le testament de mon père, et le consentement de mon tuteur, je choisis librement pour époux Olivier de Francastel.

BRULARD.

Ah ! c’est trop fort.

Le fauteuil s’enfonce.

Non, non... ce n’est pas trop fort... au contraire.

OLIVIER.

Beau sir, consentez-vous ?

BRULARD.

Avec plaisir, mon beau cousin, avec beaucoup de plaisir.

À part.

Ah coquin ! si j’en réchappe...

RAYMONT.

Et moi, oublierez-vous le salaire qui m’est dû, mon noble et honoré maître ?

BRULARD, à part.

Oui, ton honoré maître ; il est joli comme cela !

RAYMONT.

Pour avoir rétabli vos oubliettes ma liberté et vingt écus d’or, est-ce trop ?

Il porte la main au ressort.

BRULARD.

Comment donc ? elles vont si bien ! Qu’on le paie sur le-champ, à moins qu’il n’aime mieux venir à Pontoise.

RAYMONT.

Non, non, ce n’est pas la peine.

OLIVIER.

Maintenant sortez tous.

BRULARD.

Et moi...

Le fauteuil s’enfonce tout-à-fait.

Sortez !... sortez !...

Les hommes d’armes et le justicier sortent à gauche ; ceux de la comtesse entrent à droite.

On entend le son du cor.

RAYMONT.

Vos hommes d’armes sont dehors,

À Blanche.

et voici les vôtres ! Monseigneur, vous êtes libre, et vous pouvez partir.

BRULARD, se levant.

Tout de suite... Enfin me voilà debout... Ô damnation je l’ai échappé belle... Partons !

RAYMONT.

Pardon, Monseigneur, si je me suis permis...

BRULARD, avec effroi.

Comment donc, mon ami, il n’y a pas de mal. Je suis très content ; c’est très commode un fauteuil comme ça... c’est gentil ; et je vais en avoir un tout pareil pour recevoir mes amis intimes.

BLANCHE.

Mon beau cousin, quand vous reviendrez nous voir, mon noble époux et moi serons trop heureux.

BRULARD.

Certainement, je reviendrai.

À part.

Je te conseille de bien défendre ton château.

BLANCHE.

Air : Un jeune grec.

Nous vous garderons le secret ;
Mais vous vous souviendrez, j’espère,
De tout le bien qu’ici vous avez fait...

BRULARD.

Oui... mais surtout du mal qu’on m’a pu faire.
Partons Ambroise... mon ami !

TOUS.

Eh quoi ! sitôt...

BRULARD.

Oui, ma petite Blanche ;
Mais j’ai des vassaux, Dieu merci !
Et si j’ai fait quelques heureux ici,
Là bas je prendrai ma revanche !...

Il s’éloigne suivi d’Ambroise.

TOUS, en chœur.

Air : De Brulard, la troupe fidèle, etc.

Honneur au chevalier fidèle !
Honneur an noble châtelain !
Toujours galant près d’une belle,
Toujours juste pour le vilain !

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